Outre les principaux traitements du cancer que sont la radiothérapie, la chimiothérapie ou encore la chirurgie, la greffe de moelle osseuse est un traitement possible dans certains types de cancer.
Intérêt de la greffe de moelle osseuse
La moelle osseuse est située à l'intérieur des os, au centre. C'est elle qui est à l'origine de la production de cellules souches, des cellules qui vont ensuite évoluer pour donner les cellules sanguines (les globules rouges qui véhiculent l'oxygène, les globules blancs qui luttent contre les infections et les plaquettes qui permettent la coagulation).
En cas de cancer, on sait que, dans le cadre d'une chimiothérapie ou d'une radiothérapie, les cellules qui vont être détruites sont celles qui se renouvellent rapidement, à savoir :
- les cellules cancéreuses ;
- les cellules de la moelle avec un grave effet secondaire très fréquent : l'aplasie médullaire, qui est une affection des cellules du sang due à cette destruction.
Or, en cas de cancer du sang (leucémie) ou de lymphome, le traitement consiste à administrer une chimiothérapie à très forte dose pour éliminer le maximum de cellules tumorales. Le problème est que ce traitement est extrêmement toxique. C'est là que la greffe de moelle osseuse présente un intérêt. En effet, elle va reconstituer rapidement la moelle qui a été détruite et permettre au patient de refabriquer les cellules sanguines. De plus, le nouveau système immunitaire ainsi constitué va attaquer les cellules cancéreuses restantes.
Bon à savoir : il est essentiel de ne pas confondre cette moelle osseuse avec la moelle épinière qui appartient au système nerveux.
Greffe de moelle osseuse : pour qui ?
Chaque année, 2 000 personnes (enfants et adultes) ont besoin de cette greffe. Pour décider qui peut en bénéficier, les oncologues considèrent plusieurs éléments :
- L'âge du patient est déterminant puisque les personnes jeunes tolèrent plus facilement les greffons que les autres. Les complications sont donc généralement moindres.
- L'état de santé global du patient est également essentiel. Les personnes souffrant de troubles cardiaques, pulmonaires ou rénaux ne pourront pas être greffées.
- Les caractéristiques du cancer :
- le type de cancer, puisque des cancers tels que les leucémies, les lymphomes ou les myélomes sont généralement chimiosensibles mais pourraient ne pas être entièrement guéris sans utilisation d'un traitement à fortes doses,
- le stade du cancer,
- les symptômes du cancer,
- la sensibilité aux traitements du cancer.
Nécessité de la compatibilité dans la greffe de moelle osseuse
En pratique, la greffe de moelle osseuse présente un premier problème : pour qu'une greffe de moelle osseuse réussisse, il est nécessaire que les cellules soient acceptées par le corps du receveur. Cela suppose que les cellules du donneur soient aussi identiques que possible aux siennes pour éviter que les cellules immunocompétentes du donneur attaquent celles du receveur en les considérant comme étrangères.
Donneur et receveur d'une même famille
De fait, les meilleurs greffons sont ceux issus d'enfants jumeaux, l'un donnant pour l'autre (isogreffe). Entre frères et sœurs, la compatibilité est suffisamment bonne dans seulement 25 % des cas (elle n'est que d'une chance sur un million entre deux personnes prises au hasard).
C'est pourquoi il faut souvent chercher des donneurs volontaires en dehors de la famille avec l'espoir de trouver quelqu'un ayant le même groupe tissulaire ou groupe HLA (pour antigènes d'histocompatibilité humaine), groupe qui est déterminé à partir d'un petit prélèvement sanguin. De 6 à 10 antigènes spécifiques doivent être compatibles.
Donneurs volontaires
Il existe un registre de donneurs volontaires, le registre France Greffe de Moelle (plusieurs millions de donneurs sont répertoriés au niveau international), qui offre la possibilité de trouver un donneur strictement compatible. Si une compatibilité est retrouvée, le donneur est appelé pour que le don soit mis en place. On parle d'allogreffe ou de greffe allogénique.
Bon à savoir : actuellement, ce registre est composé à 65 % de femmes alors que les médecins greffeurs sollicitent davantage les hommes car leur moelle est dépourvue des anticorps développés par les femmes pendant la grossesse. Par ailleurs, 53 % sont des personnes de plus de 35 ans, or les cellules issues de donneurs jeunes sont plus nombreuses et permettent donc aux patients une meilleure prise de greffe.
Le prélèvement qui va s'effectuer est planifié entre un et trois mois avant l'intervention (tous les frais engagés par le donneur – examens, transports, hébergements, perte de rémunération, etc. – sont pris en charge).
Méthodes de prélèvement
Deux méthodes sont possibles :
- le prélèvement dans les os du bassin sous anesthésie générale qui dure entre 30 et 90 minutes avec 48 heures d'hospitalisation ; pour cela on insère une seringue qui va permettre de prélever la moelle et le sang (on filtre le tout pour éliminer les fragments d'os et les graisses) ;
- le prélèvement dans le sang (par aphérèse) qui nécessite au préalable (pendant quelques jours) la prise d'un traitement visant à stimuler la production des cellules de la moelle et à les faire passer depuis les os jusque dans le sang ; aucune anesthésie n'est nécessaire pour procéder aux deux prélèvements qui auront lieu (ce sont de simples prises de sang).
C'est au médecin de choisir la méthode la plus appropriée en fonction du malade qui recevra la greffe de moelle osseuse, sachant que la prise du greffon est plus rapide dans le second cas.
Pour les enfants, il est aussi possible d'utiliser les cellules souches provenant du sang de cordon ombilical. Ces cellules sont prélevées chez un nouveau-né puis congelées et entreposées pour un usage ultérieur chez un enfant malade compatible. L'avantage est que le risque de rejet est très faible et que ces cellules ne contiennent aucun virus.
Enfin, il est également possible de procéder à une autogreffe à partir de ses propres cellules. Dans ce cas, les cellules sont congelées (cryoconservation) pour les recevoir ultérieurement après avoir été purgées (débarrassées des cellules cancéreuses).
Déroulement de la greffe du côté du receveur
Deux semaines avant la greffe, le patient receveur est hospitalisé pour effectuer un bilan pré-greffe et débuter le traitement anti-cancéreux (régime de conditionnement ou traitement intensif).
Avant la greffe de moelle osseuse : la chimiothérapie
Une chimiothérapie à forte dose par voie intraveineuse accompagnée ou non de radiothérapie (si oui on procède à six séances d'une vingtaine de minutes) est engagée afin de détruire les cellules cancéreuses (avec de nombreux effets secondaires). Chez les personnes âgées, on peut mettre en place une allogreffe d'intensité réduite (ou minigreffe) consistant à utiliser des doses de chimiothérapie et de radiothérapie moins importantes mais suffisantes pour permettre aux cellules du donneur de détruire les cellules tumorales restantes.
La greffe s'effectue dans les 24 à 72 heures qui suivent l'arrêt du traitement de chimiothérapie et dans les 12 à 36 heures suivant le prélèvement chez le donneur (d'où la nécessité pour les équipes médicales de bien s'organiser). La transfusion sanguine dure entre une et deux heures.
Après la greffe de moelle osseuse
Le patient va mettre entre deux semaines et un mois à voir fonctionner correctement sa nouvelle moelle, ce qui se traduit par la production de nouvelles cellules sanguines par les cellules souches greffées. Par ailleurs, le nouveau système immunitaire va détruire toutes les cellules cancéreuses qui n'avaient pas été anéanties par la chimiothérapie et la radiothérapie.
Si tout se déroule correctement, il peut quitter l'hôpital entre un et deux mois après la greffe. Il sera ensuite suivi toutes les semaines jusqu'à trois mois après la greffe puis, par la suite, lors de consultations visant à dépister à temps toute complication, qu'elle soit infectieuse ou bien liée à une réaction du greffon contre l'hôte (la maladie du greffon contre l'hôte concerne 40 à 50 % des greffes allogéniques de moelle osseuse).
De la cyclosporine est administrée pendant 6 à 12 mois après la greffe pour éviter le rejet.
À noter : la prise du greffon est plus rapide si les cellules proviennent d'un prélèvement pas aphérèse et elle est plus lente si on utilise des cellules provenant du cordon ombilical.
Complications liées à la greffe de moelle osseuse
La greffe de moelle osseuse peut entraîner de graves complications. C'est ce qui explique qu'elle ne soit proposée qu'en dernière intention, lorsque les traitements précédents ont échoué :
- Si le rejet de greffe (nommé GVH) reste rare, il n'est pas impossible. Cette réaction est due aux nouveaux globules blancs qui apparaissent après la greffe et qui ne reconnaissent pas le nouvel organisme dans lequel ils se trouvent ; ils le considèrent comme étranger. Cela se traduit par une attaque de la peau, des intestins et du foie avec des symptômes tels qu'une peau inflammée, des troubles digestifs type diarrhée, un ictère (jaunisse) et de la fièvre. La GVH est traitée à l'aide de médicaments immunosuppresseurs qui doivent parfois être pris pendant des années (immunoglobulines anti-thymocytes (ATG) permettant d'atteindre 30 % de survie). Dans le cas où il n'y aurait pas eu prise de la greffe, on peut toujours procéder à un second essai.
- Dans les deux à trois semaines qui suivent la greffe, l'aplasie médullaire déjà enclenchée par le traitement anticancéreux se poursuit. Il y a une grande fatigue et les risques d'infection bactérienne sont grands (avec fièvre, hémorragies, lésions d'organes vitaux, etc.), notamment au niveau de la bouche, du tube digestif, de la peau et des poumons. Pour prévenir ces problèmes, le patient est isolé dans une chambre à flux stérile (la ventilation est adaptée pour qu'aucun agent extérieur ne puisse y pénétrer) et il reçoit des antibiotiques et des transfusions de globules rouges et de plaquettes voire de suppléments nutritionnels.
- Le déficit immunitaire est très fréquent et le patient a besoin de plusieurs mois pour reconstituer ses défenses. Là encore, il va être fragile face aux microbes. C'est pourquoi on procède à des prélèvements réguliers et que certains vaccins sont parfois réadministrés.
- Le syndrome de prise de greffe peut se traduire par :
- de la fièvre,
- des éruptions cutanées,
- une prise de poids,
- des œdèmes pulmonaires ou une pneumonie.
- Les troubles digestifs peuvent survenir peu de temps après la greffe de moelle osseuse. Le plus souvent on retrouve :
- des inflammations de la bouche et de la glande parotide (glande salivaire),
- des nausées et des vomissements,
- des diarrhées,
- une perte d'appétit et de poids.
- De graves troubles rénaux peuvent apparaître, ceux-ci allant jusqu'à l'insuffisance rénale. De même, des troubles vésicaux peuvent survenir avec des mictions fréquentes et la présence de sang dans les urines ou des cystites à répétition.
- Des troubles neurologiques peuvent faire leur apparition (parfois plusieurs années après la greffe) et notamment :
- des lésions cérébrales,
- des troubles mentaux se traduisant par un manque de concentration, des troubles de la mémoire et des difficultés d'apprentissage.
- L'apparition de troubles thyroïdiens et notamment une hypothyroïdie est très courante avec tous les symptômes qui l'accompagnent.
- Une maladie veino-occlusive peut apparaître. Il s'agit de l'obstruction des vaisseaux sanguins menant au foie. On ne sait pas traiter ce problème, tout au plus peut-on soulager les symptômes et faire suivre un régime sans sel.
- Des douleurs peuvent apparaître en raison de l'inflammation des tissus et des différents effets secondaires mentionnés précédemment.
- Par ailleurs, tous les effets secondaires rencontrés au cours d'une chimiothérapie et d'une radiothérapie peuvent être présents (éruptions cutanées, perte des cheveux, etc.).
- Une stérilité peut se manifester suite au traitement intensif. Une ménopause prématurée peut survenir.
- Une cataracte peut faire son apparition environ un an après la greffe mais parfois longtemps après.
- S'il s'agissait d'un cancer chez l'enfant, on observe fréquemment un retard du développement et de la croissance, y compris du développement sexuel.
- Des cancers secondaires peuvent faire leur apparition plusieurs années après la greffe et plus particulièrement :
- une leucémie,
- un mélanome,
- des tumeurs au cerveau,
- des cancers du foie ou des os,
- des sarcomes,
- des lymphomes.
Le taux de complications est moindre avec une autogreffe, puisqu'il n'y a aucun risque de GVH. En revanche le système immunitaire ne s'attaquera pas aux cellules tumorales restantes, contrairement à l'allogreffe, ce qui veut dire que le risque de récidive est plus important.
Cas exceptionnels de greffe de moelle osseuse
La médecine ne cesse de progresser mais certains mystères restent entiers. De nouvelles méthodes voient le jour mais leur résultat reste parfois difficile à prévoir, voire à interpréter.
Greffe en tandem
Plus rarement, dans certains cas de myélomes multiples, ou de lymphomes, les médecins proposent une greffe en tandem consistant à réaliser deux autogreffes successives, espacées de 6 mois.
Le patient reçoit dans ce cas deux fois de la chimiothérapie à forte dose. La première autogreffe n'utilise que la moitié des cellules prélevées. Après le second cycle de chimiothérapie, on administre la deuxième moitié. La deuxième greffe est réalisée après que le patient se soit correctement rétabli de la première.
Le patient de Berlin
Le cas exceptionnel du « patient de Berlin », Timothy Brown, est unique au monde. Diagnostiqué positif au VIH (virus du sida) en 1995, cet homme ne présente plus le moindre signe de sida depuis 2007.
- Cet homme s'est vu diagnostiquer une leucémie en 2006 et tous les médecins lui ont annoncé sa mort prochaine. Néanmoins, le Dr Gero Hütter (hématologue à l'hôpital universitaire de la Charité de Berlin) propose à Timothy Brown une greffe de moelle osseuse à partir d'un donneur appartenant aux 0,3 % de la population mondiale possédant des cellules immunitaires mutantes résistantes au VIH.
- Le patient bénéficie alors d'une greffe en tandem qui révèle, au bout de deux ans que non seulement la leucémie a disparu mais aussi que le virus du sida a été éradiqué sans aucune rechute.
Ce cas unique au monde ne doit pas faire oublier que la thérapie est, au dire même de M. Brown, un véritable enfer.